Pourquoi Goya à nouveau et pourquoi « le préau des fous » (corral de locos) ?
Parce qu’il est question d’ouvrir les yeux sur la folie du monde, celle dont sont victimes les déshérités et celle qui a contaminé les hommes de pouvoir dans le déni du réel et l’inconscience des drames dont ils sont responsables. Toute image peut être manipulée par la propagande et susciter les instincts les plus bas, celui par exemple de la moquerie, du voyeurisme face au bizarre ou de la bonne conscience drapée dans une pseudo compassion. Mais toute image est aussi une ouverture sur la vérité du monde et porte parfois un début d’espoir, une lueur dans les ténèbres (« lux ex tenebris »), le ciel vide et lumineux par dessus des murs.
Quand Goya visite l’asile de Saragosse, après s’être déclaré dans « l’impossibilité absolue de peindre » et pour décrire ce tableau de petit format qui coupe court aux cartons de tapisserie, il écrit simplement : « C’est une scène que j’ai vu à Saragosse » (« es asumto que he presenciado en Zaragoza ») (1). Goya nomme cette série « ensemble de tableaux de cabinet » et écrit : « Dans ces petites peintures, j’ai réussi à faire des observations qui n’ont généralement pas leur place dans les œuvres de commande, où le caprice et l’invention n’ont pas libre cours ».
Yves Bonnefoy dans son essai majeur sur Goya (2), tentative de décrire l’œuvre dans « les soubassements du désir humain » dans « un des moments absolus de l’art d’occident » le raconte ainsi : « Les fous dans leurs prisons, on allait les visiter à l’époque, avec cruauté, pour s’amuser du bizarre. Rien de bizarre dans ce tableau, rien que ce qui est, dépouillé de ce dont le voilent la peur, l’égoïsme frivole, la sottise. C’est le « j’ai vu » réclamé par le gouffre dans la peinture, dans les images, c’est le « Je vois » sans œillères d’un peintre qui a d’ailleurs déliré lui-même, sous les murs de sa maladie, et c’est bien le début, peut-on penser, d’un nouveau regard, non seulement sur le monde, mais sur la fonction de l’artiste ».
(1) Lettre de Goya à Iriarte du 7 janvier 1794, British Museum, Londres
(2) Yves Bonnefoy, « Goya, les peintures noires », William Blake Ed., 2006, page 49