Michael Fried, historien d’Art, à propos du « déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet :
« (…) Manet poursuit un projet historiciste complexe au début des années 1860. C’était le désir, de la part de critiques comme Thoré mais aussi de la part de Manet, de transcender les différences entre les écoles nationales.
Jusque là, nous avions les peintures françaises, italiennes, allemandes, britanniques. N’est-il pas temps, et cela fait partie des aspirations d’un certaine forme de socialisme et d’universalisme propre au XIXème siècle, de dissoudre ces écoles nationales dans une sorte de grand-tout qui ne serait que « la peinture » (…)
Regardez « le déjeuner sur l’herbe », regardez ce que l’on voit : d’emblée, à gauche au premier plan, on voit une nature morte. Les figures sont manifestement des individus, c’est donc un art du portrait. Victorine dévêtue est un nu et en effet la référence à Raphaël en fait un nu classique. Le tableau entier, cette sorte de pique-nique, malgré l’échelle, en fait une fête champêtre et aucun peintre n’est plus important aux yeux de Manet que Watteau dans la première moitié des années 1860. Manet n’aurait jamais placé ses figures dans un cadre aussi grand. Ici, il a peint ce vaste champs vert, car il veut que le tableau soit aussi un paysage.
Ainsi vous commencez à voir ce qu’il a fait dans ce tableau. C’est une tentative, délibérée, voulue, de rassembler les différents genres : nature morte, art du portrait, nu, peinture classique, fête champêtre, paysage. Mais le tableau est aussi fameux pour ce petit oiseau qui plane tout en haut au centre. C’est un bouvreuil. Je pense que c’est une allusion parodique, quoique très sérieuse, à la colombe du Saint-Esprit dans la peinture du baptême du Christ. Il y a donc une référence au corpus de la peinture religieuse. Le modernisme de Manet n’est pas un art de simplification radical, ce n’est pas un art de la surface (…) » (1)
(1) Michael Fried, extrait des commentaires devant la toile « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet, après traduction, collection « Un œil, une histoire, Michael Fried, in love with Diderot », Production Histoire, LCP et Zadig productions, réalisation Marianne Alphant et Pascale Bouhenic, 2014