Au premier plan, une jeune femme funambule, de profil, en équilibre debout sur un cheval blanc, lui-même étonnamment immobile, au centre de l’estampe, sur une corde tendue. La corde structure le motif, de part et d’autre du cadre, sans extrémités visibles et forme une ligne de fuite brisée sur laquelle repose le fragile édifice sur un segment horizontal, les deux segments diagonaux achevant le trapèze ainsi formé.
De la main droite, la femme tient les rênes de sa monture pour en conserver la maîtrise, avec une réserve tenue dans la main gauche dans un geste plutôt gracieux. Sourit-elle ?
Le pied droit de l’écuyère est posée avec précision sur le dos du cheval, à même un tapis de selle, le pied gauche légèrement au dessus du garrot, à l’opposé de la position des bras pour conserver l’équilibre. Le geste est maîtrisé, même si la tension est palpable.
En arrière plan de la scène principale, comme un amas rocheux en un seul bloc découpé sur un fond noir, une foule agglutinée d’hommes, de femmes et d’enfants, anonymes, font face au sujet principal, formant ce qui pourrait être le début d’un arc de cercle, certains assis, d’autres debout. Ce qui frappe d’emblée c’est qu’ils ne semblent pas tous être spectateurs de ce qui se joue devant eux. Des femmes paraissent prier, d’autres ont le regard baissé, la plupart les yeux fermés.
Publié dans la revue l’Art à Paris pour la première fois en 1877 sous le nom « Una Reïna del circo », la gravure porte le titre donné par Goya de « Disparate puntual » (atrocité ou déraison ponctuelle) et fait partie des quatre épreuves complémentaires choisies et acquises par Eugenio Lucas Velazquez de la série de gravures « Disparates », les trois autres étant : « Disparate de tontos », « Disparate conocido », « Disparate de bestia ».
La scène montée en deux plans à la fois très clairs dans leur interprétation au premier degré (une foule assiste à un numéro de cirque) et si dissemblables dans leurs formes respectives créent un espace temps énigmatique : est-ce une apparition ? l’instant est-il un instant de grâce, rêve ou réalité, espoir ou réconfort, divertissement ou prière, prélude d’une catastrophe, d’un dérèglement ou repos après la tempête ?
Il ne s’agit certes pas d’un miracle, mais bien d’une performance réussie à force de grâce, de patience, sur la corde raide, entre l’ombre et la lumière, le chaos et la vérité du moment, fugace et folle. Vérité fragile et imminente, intemporelle, presque absurde, pouvant basculer d’un côté ou de l’autre, sur le bord. Le choix de l’artiste est de faire face et de prendre position, au centre, visible. A nous de voir ou de ne pas voir, d’apprécier le spectacle avant d’autres catastrophes ou de fermer les yeux.