Jacques Villéglé est connu pour arracher des affiches lacérées collectées dans la ville et les exposer au musée en leur donnant les noms des rues où elles furent arrachées.
Ainsi il privilégie selon ses propres mots « le ravir au faire », assumant que l’épaisse matière première de papier, faite de couches successives (« sous les tableaux, d’autres tableaux ») se forme grâce à des anonymes qui déchirent, lacèrent ou collent aux murs, sans son intervention, dans l’effacement de l’artiste, d’où sa belle invention : « le lacéré anonyme ».
Alors, dans un double mouvement, il dit : « en prenant l’affiche, je prends l’histoire ».
Le premier mouvement est celui de la flânerie, à travers la ville, dans un geste d’observation, d’attention flottante, d’acuité permanente. Le second est plus brusque, puisque pour collecter, trouver, inventer des objets (au sens de les découvrir) il s’agit de les arracher du mur.
Walter Benjamin reliait les deux mouvements en parlant d’oisiveté mais aussi d’acharnement et d’intensité : « L’oisiveté d’un flâneur, comme observation acharnée de la vie urbaine est au fond un travail intense ».
Car au final l’arrachement, la déchirure porte une blessure, un cri. « La lacération est un non » dit aussi Jacques Villéglé, conscient d’un acte politique quand il co-signera par exemple l’ensemble « la France déchirée » en référence au conflit algérien ou quand il s’intéressera à l’ouvrage de Tchakotine, « le viol des foules par la propagande politique ».
Mais son plus beau geste est fondateur. Il a produit une forme admirable et bien antérieure à ses collections d’affiches lacérées. Quand en août 1947, à Saint-Malo, le long de la chaussée des Corsaires, dans un paysage d’après-bataille (les blockhaus du mur de l’Atlantique), Villéglé qui a alors 21 ans recueille des débris, des déchets, des fils d’acier rouillés et se constitue dit-il « un vocabulaire ». Alors, son montage fait œuvre, « un dessin dans l’espace », et portera dans son appellation sa propre topographie, son propre récit : « Fils d’acier, Chaussée des Corsaires, Saint-Malo, août 1947 ». Villéglé était conscient d’avoir produit une œuvre remarquable : « C’était la première fois que je réalisais une œuvre finie. Pour moi, c’était un chef-d’œuvre. »
Jean Arp avait eu le même réflexe à l’issue de la guerre 14-18 et avait constitué avec Kurt Schwitters « la trousse des naufragés » et « la trousse d’un Da » en assemblant des pièces de bois flotté, ficelle et clous collectés sur l’île de Sylt, à l’été 1920, en écho aux œuvres de Max Ernst.